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Anaïs' Misfits
28 juillet 2011

Le jour où j'ai compris que mon boulot me tuait

Ce billet n'avait pas vocation à être publié ici. Je déteste le caractère proprement nombriliste des blogs "journal intime". Aujourd'hui, je m'apprête à quitter - pour un moment du moins - le monde merveilleux de Mickey des agences de communication et mon métier de consultante. 

J'ai écrit ce billet à un moment très "borderline" de ma vie professionnelle, entre deux charrettes et au retour d'une bouffée d'air plus communément appelée "long week end". Foin des bocks! Etant entendu qu'il ne s'agit pas tant de faire pleurer dans les chaumières que de livrer un texte brut, j'ai décidé de le publier. Si quelques consultants s'égarent par ici ils y trouveront une coreligionnaire avertie.

Avant, je disais que les connards qui se tiraient une balle à cause du taf, c’était juste des grands "sensibles". Pas que.

Chaque fois, je mue.

Mon écorce de carnassière pur com tombe et me laisse peau nue. Retour à l’envoyeur. Chaque fois cette dégueulasse impression qu'on m’arrache à qui je suis. Repartir au front, guerrière. Serrer les dents. Ignorer les intrigants et sourire aux échalas pétris d'arrogance qui m’entourent et me toisent.

Aujourd’hui j’ai 28 ans. Depuis 6 ans – et en y réfléchissant depuis toujours - je me dis que je penserai à moi plus tard. Plus tard. Après. Toute ma vie passe "après".

22

Nourrir la bête et se trahir chaque jour. Une laideur sourde envahit chacun de mes pores. Cette douleur, je la respire sans parvenir à la dompter. Mon constat est amer. 

Victime consentante. Je suis de celles qui ne lâchent rien quitte à perdre tout : les cheveux, le sourire, le moral, le désir, la santé. De celles qui, le soir sous la douche, le week end, dans l’intime, ne peuvent se défaire de leurs angoisses de boulot. De celles qui renvoient leur ligne fixe sur le portable même pour aller pisser. Des astreintes H-24 dont j’ai pris le pli depuis que j’ai débuté dans le métier.

Complainte du "forfait cadre" 'et double peine. Je suis d’une profession qui tait ses maux, parce que ce sont nous que les patrons du CAC viennent "consulter". Pour 2200€ nets, mon temps et moi nous sommes vendus un peu plus d'un smic par jour et par client, client qui chacun me croit "dédiée" à la mise en valeur de sa petite personne. De facto, c'est open bar.

Note strat, Q&A, statetment, recos à toute heure du jour et de la nuit. Tout va bien, chacun y est autonome et esclave acteur de son propre destin. Chacun pour sa gueule et Dieu pour tous.

Quand je suis polie je dit que je suis « Sur le grill ». Entre nous, on dit "allez, à quatre pattes" ou qu'on satisfait les demandes des clients "sans vaseline". Les boss ?... Plus prompts à dire "Anaïs va vous faire une pipe note" qu'à caler un rendez-vous chez le coiffeur un après-midi de rendu de compet (comprenez un appel d'offres à plusieurs centaines de milliers d'euros sur lequel on vous fait  "monter" en plus de la gestion de vos clients, le tout sans jamais rien toucher, lorsque nous les remportons, sur lesdites compets à plus de 100 K€ annuels). 4 puis 5 puis 6 puis 7 "clients" dans mon "portefeuille". Enfin, plus précisément dans le leur.

Des « puissants » que je conseille je dirais qu’ils sont bien trop préoccupés à relire leurs citations dans le Figaro.

J’étais naïve, on m’a rendue cynique. Mettre du vertueux dans un système qui en est totalement dépourvu, mon cul. De nature bienveillante, je suis devenue avare de mes largesses. J'étais confiante, je ne suis que méfiance. En mode survie, je me construite dans l’adversité. Usant.

On. Off. On repart.

Je suis d'un cuir robuste et plutôt souple. Mon entourage m'a toujours vue forte et passionnée. Ce cuir que je croyais jadis robuste s’est fendu. Caressez ma bosse Monseigneur. La chute. Je dis que tout va bien…« she breaks just like a little girl » chantait Dylan. Pas mieux.

Discrète et besogneuse, je suis - après une redistribution des cartes (comprenez un changement de direction) - bien « notée ». Indispensable et talentueuse et en dépit du traditionnel million manquant (sur 60) chaque année pour mettre en place une véritable politique salariale, j'ai vu ma force de conseil être rétribuée par une augmentation, la 1ère et la seule en 3 ans, à hauteur de 200€ bruts. Cela pour accompagner une promotion intervenue bien des mois plus tôt.

Pour conclure, je dirais que j'ai une vision très concrète du fameux "plafond de verre". Et entendu cette assertion dans la bouche d'un de mes dirigeants devant un auditoire presque exclusivement féminin. Comme un uppercut : « Votre métier c’est de continuer à être les plus belles putes du monde ». Dont acte. 

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Commentaires
W
Pour retrouver le sourire et voir que tu n'es pas la seule au bout du rouleau, suis ce lien... http://www.penelope-jolicoeur.com<br /> Les dessins et textes de Pénélope m'ont fait du bien en plein rush !
W
Working "Like a Cast shadow" ?<br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=xv8mJfDPxuA
P
Tellement vrai chez les consultants, et malheureusement exportable dans d'autre métier du secteur, tu as tout souligné, j'ai vécu ca en rentrant en agence (plus petite mais même traitement)avec les sac de couchage a demeure au bureau, les canapés inconfortables pour seule option car il est tellement tard pour rentrer qu'il vaut mieux rester pour recommencer demain, mais demain c dans 3 heures ! Tu te réveilles à 28 ans, certains se réveillent plus tard, tu as gagnée de nombreuses années en le faisant à cet age et pas plus tard !
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